Les îles Razades

Situées dans l’estuaire du Saint-Laurent, un peu en aval de l’île aux Basques, les îles Razade (la Razade d’en Haut et la Razade d’en Bas) sont classées Refuge d’oiseaux migrateurs et ne sont pas accessibles au public. Elles font aussi partie de la Réserve naturelle de l’Île-aux-Basques-et-des-Razades.

La Société Provancher a su, au fil des ans, assurer adéquatement la protection de ces deux îles. Des visites annuelles y sont effectuées pour vérifier l’état des populations des colonies d’oiseaux.

Les îles Razade sont classées Refuge d’oiseaux migrateurs et ne sont pas accessibles au public.

Les îles Razade sont situées sur la rive sud du Saint-Laurent en face de la ville de Trois-Pistoles, à quelque 250 km à l’est de Québec : (Latitude : 48.142678 | Longitude : -69.174557). La Razade d’en Haut est localisée à 6,7 km en aval de l’île aux Basques et à 2,2 km au large du cap Marteau. La Razade d’en Bas est située à 2,9 km plus à l’est, soit vis-à-vis la démarcation des paroisses de Saint-Simon et des Trois-Pistoles, et à 2,9 km de la terre ferme. Elles font partie de la MRC Les Basques et Rivière-du-Loup.

Grâce à une souscription auprès de ses membres, la Société Provancher a acquis La Razade d’en Haut le 21 janvier 1927. Ses anciens propriétaires, monsieur Charles-François Rioux, et ses enfants dont il était tuteur, la cédaient à la Société pour la somme de 500 $.

Cette même année, la Société Provancher devenait aussi propriétaire de La Razade d’en Bas grâce à la générosité du président de la Brown Corporation, propriétaire de l’île, monsieur W.T.Brown. Celui-ci décidait de faire don de l’île à la Société sous la seule réserve « that the said island shall be used hereafter as a bird sanctuary ». Ces actions de protection entreprises par la Société avaient pour but d’assurer le maintien des colonies d’oiseaux qui y nichent et de contrer le pillage des oeufs par les braconniers.

Toujours en 1927, un groupe de citoyens des Trois-Pistoles et de directeurs de la Société Provancher installèrent, sur la Razade d’en Haut, une croix de pierre mesurant 4,2 m de hauteur. Une plaque de bronze, incrustée dans la pierre porte l’inscription suivante « Nos pères, partis à la dérive sur les glaces en chassant le loup marin, atterrirent providentiellement sur cette île, le 23e jour de décembre 1841. Hommage de leurs descendants ». Cette croix, qui fait partie de la petite histoire locale, occupe toujours son emplacement originel et rappelle un événement qui aurait pu être tragique pour les habitants de Trois-Pistoles.

LE MILIEU BIOPHYSIQUE

Les îles Razade sont constituées des mêmes schistes que ceux de la chaîne appalachienne et datent du Paléozoïque. Les roches d’origine sédimentaire s’élèvent avec une inclinaison vers le nord-est. Là où la mer n’a pas d’emprise, le sol est recouvert d’un tapis de végétation herbacée assez dense, brisé çà et là par quelques microfalaises. La superficie de la Razade d’en Haut est d’à peine 8,9 ha à marée basse et son point culminant atteint 5,2 m au-dessus du niveau de la mer. D’une superficie à peu près équivalente à celle de la Razade d’en Haut, la Razade d’en Bas est dotée d’un relief beaucoup moins prononcé. À marée très haute, son sommet excède le niveau des eaux d’à peine un à deux mètres.

LA FLORE

Sur ces petites îles, la végétation est fortement influencée par le sol, le climat maritime et la présence des colonies d’oiseaux. Aucun arbre ni arbuste ne réussit à s’y installer. Le frère Marie-Victorin les visitait en 1929 et publiait ses observations l’année suivante. La description qu’il nous a laissée de la végétation est en grande partie encore valable aujourd’hui. Sur La Razade d’en Haut, Marie-Victorin note la présence de 18 espèces et sous-espèces de plantes. La végétation était, tout comme aujourd’hui, dominée par deux graminées, le calamagrostis du Canada (Calamagrostis canadensis) et l’élyme des sables (Elymus arenarius). Quelques plantes non répertoriées par Marie-Victorin ont été observées ces dernières années : la matricaire odorante (Matricaria matricarioides) par Austin Reed, l’arroche hastée (Atriplex hastata) et le séneçon vulgaire (Senecio vulgaris) par Michel Lepage. Sur La Razade d’en bas, Marie-Victorin remarque, sur le pourtour de l’île, une ceinture végétale dominée par l’élyme des sables et le séneçon faux-arnica (Senecio pseudo-Arnica). Entre cette crête et la ceinture dominée par l’élyme et le séneçon, il a répertorié 15 espèces et sous-espèces.

LA FAUNE

Six espèces d’oiseaux coloniaux se partagent les îles : l’eider à duvet (Somateraia mollissima), le cormoran à aigrettes (Phalacrocorax auritus), le goéland argenté (Larus argentatus) et le goéland marin (Larus marinus) y nichent depuis de nombreuses années. Par contre, la mouette tridactyle et le petit pingouin (Alca torda) ne s’y sont établis que récemment.

L’eider à duvet

La première évaluation de la population d’eider à duvet date de 1917. La colonie comptait alors 150 nids. À cette époque, la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs venait à peine d’être proclamée. Les populations d’oiseaux de mer étaient à leur plus bas partout le long de l’estuaire et du golfe du SaintLaurent, en raison du pillage des oeufs et d’une chasse abusive. Grâce aux effets de cette loi et à la protection des îles par la Société Provancher, la colonie des Razades avait plus que quadruplé en 1931, pour atteindre 679 nids. C’est vers 1938 que la colonie d’eider des deux Razade atteignait son apogée, avec 1400 nids. Après une baisse à 375 nids au début des années 1960, la colonie a fluctué, allant de 400 à 1 000 nids selon les années. Elle se situe actuellement entre 400 et 500 nids. En raison d’une topographie et d’un couvert végétal plus propice, La Razade d’en Bas accueille le plus grand nombre de nids, souvent de deux à trois fois supérieur au nombre observé sur La Razade d’en Haut.

Le cormoran à aigrettes

Les premières données sur le cormoran à aigrettes datent de 1928. Lewis (1929) rapporte l’existence d’une colonie de 40 nids. Entre 1964 et 1972, Reed (1975) y dénombre une moyenne de 29 nids. C’est à partir du milieu des années 1970 que les cormorans ont commencé à prendre de l’expansion, à la fois sur La Razade d’en Haut et sur La Razade d’en Bas, se fragmentant en plusieurs souscolonies. En 1987, la colonie de La Razade d’en Haut atteignait 794 nids et celle de La Razade d’en Bas, 345 nids. La végétation des îles Razades était de plus en plus affectée par leurs fientes. De grandes plaques de zones dénudées avaient fait leur apparition dans des secteurs autrefois couverts de graminées hautes, notamment près de la croix de granit, laissant la mince couche de sol très vulnérable à l’érosion. Il devenait évident que sans un contrôle de l’expansion de la cormorandière, la végétation des îles était menacée. En 1989, le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pèche amorçait un vaste programme de contrôle de la population de cormorans de l’estuaire du Saint-Laurent pour tenter de la stabiliser aux environs de 10 000 couples. La Société Provancher donna alors son accord pour que le programme de contrôle du cormoran s’étende aux îles Razade. De 1989 à 1993, les oeufs des cormorans furent arrosés à l’aide d’une huile minérale afin d’en prévenir le développement. Parallèlement à cette intervention, les vieux nids construits dans des secteurs sensibles furent brûlés chaque année pour réduire l’attrait qu’ils semblaient susciter pour les nouveaux arrivants. Par contre, tous les nids établis dans les crans rocheux furent scrupuleusement préservés. Ces interventions ont permis de réduire la population à un niveau qui permet d’y maintenir une population permanente, tout en ne présentant pas de danger pour la végétation.

Le goéland argenté

Le goéland argenté a également connu un accroissement de ses populations, puis un déclin. Comme le rapporte Austin Reed (1990), cet essor s’est amorcé durant les années 1920 et s’est poursuivi durant les quatre décennies suivantes, pour passer de 600 nids en 1931 à environ 1 720 nids en 1966. La population a ensuite décliné pour se maintenir aux alentours de 600 à 700 nids au cours des années 1980. Moins d’une centaine de couples occupaient l’île au début des années 2010.

Le goéland marin

La première mention de la nidification du goéland marin aux îles Razade date de 1931. Cette espèce, dont les effectifs atteignent actuellement environ 200 couples, n’a pas cessé de s’accroître. Malgré la mauvaise réputation qu’a ce goéland, étant donné ses habitudes prédatrices sur les canetons d’eider, il ne semble pas affecter cette dernière espèce. L’eider à duvet paraît s’accommoder de cette situation puisqu’il y maintient des effectifs élevés.

La mouette trydactyle

La première mention de la nidification de la mouette tridactyle (Rissa tridactyla) sur La Razade d’en Haut remonte à 2006 alors que le personnel de Duvetnor dénombrait une vingtaine de nids. Lors de la visite du 25 avril 2008, les bénévoles de la Société Provancher ont noté un nombre impressionnant de mouettes tridactyles survolant cette île. Au moins 48 nids ont été observés sur l’ensemble des crêtes ou escarpements rocheux. Le 25 mai 2008, Duvetnor a dénombré 38 nids, répartis en cinq petits groupes, soit un nombre inférieur à celui noté en avril 2008. En mai 2010, ils y dénombraient dénombrait 58 nids. Cette espèce, très maritime, s’est établie dans une niche inoccupée. Elle a pris position dans quatre petits escarpements où les autres espèces ne pouvaient établir leurs nids. Accroché aux corniches, le nid de la mouette tridactyle est construit en hauteur avec des matières végétales terrestres et maritimes. Il présente une coupe profonde et de faible dimension, modelée pour retenir de 1 à 2 œufs. Il sera intéressant de suivre la progression de cette espèce dans le futur. Cette espèce est absente à la Razade d’en Bas.

Le petit pingouin

La première confirmation de la nidification du petit pingouin (Alca torda) sur la Razade d’en Haut remonte à juin 1998. Elle a été rapportée par le personnel de la Société Duvetnor au moment de la cueillette du duvet d’eider. Un œuf a été trouvé à l’abri d’un rocher et des adultes ont été aperçus en vol. Le 29 mai 2002, un nid de petit pingouin était trouvé sur la Razade d’en Bas et deux sur la Razade d’en Haut. Le 25 avril 2008, plusieurs petits pingouins ont été observés au pourtour de la Razade d’en Haut par la Société Provancher. D’abord, des oiseaux rassemblés en deux petits radeaux d’une vingtaine d’individus chacun et distants d’environ 100 mètres l’un de l’autre nageaient à plus de 150 mètres des berges de l’île. Quelques individus ne se joignaient pas aux groupes à l’eau. Ces petits pingouins, possiblement deux ou trois couples, survolaient la partie nord de l’île en couple, dans un va-et-vient constant. Leur comportement de vol, battements moins rapides et position des ailes en dessous de l’axe horizontal du corps, laisse croire que ces derniers pouvaient nicher au nord de l’île. Au total, 48 individus ont été dénombrés, à l’eau et en vol. Le 25 mai 2008, le personnel de Duvetnor confirmait la nidification de petits pingouins dans la partie nord de l’île (pointe nord) où un œuf fut aperçu dans une crevasse tandis que quatre oiseaux furent observés en vol. Lors du prélèvement du duvet d’eider, le 22 mai 2010, les observateurs notaient cinq (5) nids de petits pingouins dans la partie rocheuse au nord de l’île. Du même coup, 50 individus étaient observés à l’eau à proximité nord de l’île, alors qu’un nombre similaire (48) était noté en avril 2008. Le petit pingouin n’a pas été noté sur la Razade d’en Bas depuis 2002, où un nid avait été observé.

Depuis longtemps la Société Provancher encourage les études biologiques sur les oiseaux, notamment le recensement des nids. Des activités de baguage d’oiseaux ont eu lieu de façon plus ou moins régulière. Le 14 juin 1925, la Société fit la première opération d’étiquetage d’oiseaux sur les îles grâce à David-Alexis Déry, lequel était membre de l’American Bird Banding Association. Cette année-là, il a marqué 50 goélands argentés sur La Razade d’en Bas et a obtenu quatre retours de bagues. Après un temps d’arrêt à la fin des années 1920, les activités de baguage du goéland reprirent de 1933 à 1940 avec le concours du personnel de la Station Biologique du Saint-Laurent, établie à Trois-Pistoles. Ce programme a démontré, hors de tout doute, que les jeunes goélands des Razades migraient vers les côtes de la Gaspésie, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, du Maine et vers le sud, aussi loin que le golfe du Mexique. De plus, il a confirmé qu’une petite proportion des oiseaux migrait vers l’intérieur des terres en empruntant le couloir du lac Champlain ou du lac Ontario.

La Société Provancher tient un registre annuel du nombre de nids d’oiseaux. Les recensements sont effectués par la Société Duvetnor et à l’occasion par le Service canadien de la faune. Des données complémentaires sont amassées par les membres de la Société Provancher lors de leurs visites d’inspection.

Le statut particulier de ces îles fragiles restreint au strict minimum les activités qui peuvent y être exercées.

La cueillette du duvet

La cueillette du duvet d’eider, lorsque bien faite, n’a pas d’effet sensible sur la reproduction de l’eider. La Société tenta une première expérience de cueillette en 1935. Elle obtint le permis nécessaire du Service des parcs nationaux du ministère de l’Intérieur. Cependant, même si le duvet était d’excellente qualité, sa récolte n’a pas été poursuivie de façon régulière.

Depuis 1984, la Société Provancher autorise la Société Duvetnor (organisme sans but lucratif dédié à la protection de la faune et ses habitats dans l’estuaire du Saint-Laurent) à cueillir annuellement le duvet sur les Razade. Les profits de cette cueillette sont à l’avantage des oiseaux puisqu’ils sont investis dans divers projets de conservation réalisés sur les îles de l’estuaire. En contrepartie, la Société Duvetnor transmet chaque année à la Société Provancher les résultats du décompte des nids qu’elle réalise, ce qui facilite le suivi des populations d’oiseaux.

La protection du couvert végétal

L’accroissement rapide de la population de cormoran à aigrettes dans l’estuaire du Saint-Laurent au cours des années 1980 a incité le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche à entreprendre un programme de contrôle du cormoran dans les îles de l’estuaire du Saint-Laurent. Ce programme a permis de réduire le nombre de nids sur les Razade; celui-ci est passé de 747 nids en 1990 à 245 en 1995. Depuis, afin d’éviter que les cormorans établissent leur nid dans les zones végétales où les eiders établissent leur nid, la Société Provancher enlève les nids de cormorans établis dans les secteurs sensibles tout en conservant ceux établis sur les rochers dénudés. Cette opération se déroule, bien sûr, en dehors de la période de nidification des oiseaux.

En photos