Le jeudi 4 avril 2019, une conférence publique de la Société Provancher a eu lieu au Domaine Maizerets, à Québec. Cet événement s’inscrivait dans le cadre du centenaire de la Société. À cette occasion, M. Yves Hébert, historien et auteur d’ouvrages traitant des débuts de l’histoire naturelle au Québec, a présenté sa conférence intitulée : Les voyages de John James Audubon au Labrador en 1833 et à Québec en 1842. Voici le compte-rendu de cet événement.
John James Audubon est certainement le peintre animalier le plus connu du monde. Il est déjà venu au Québec pour y peindre — à la gouache, au pastel et à la craie — certains oiseaux particulièrement méconnus de la boréalie, soit 28 au total en 23 tableaux. Parmi ceux-ci, on compte plusieurs oiseaux coloniaux marins, le pluvier siffleur, le courlis esquimau, la mésange boréale et le bruant de Lincoln.
C’est devant 80 personnes présentes à la récente conférence de la Société Provancher, que M. Yves Hébert a raconté l’essentiel des nombreux ouvrages réalisés par ce peintre remarquable qu’était Audubon, alors qu’il était de passage chez nous à l’été de 1833. Il était alors âgé de 48 ans. Cet Américain du Kentucky, né à Saint-Domingue (Haiti), puis immigré en France, nous a laissé un héritage considérable en terme d’ouvrages artistiques et d’articles faisant la promotion de la conservation de la nature. À cela s’est ajouté un nombre important de lieux identifiés à son nom (toponymie), surtout sur la Basse-Côte-Nord qu’il se plaisait d’appeler le « Gibraltar d’Amérique du Nord ».
Audubon était un être charmeur, moqueur et un « adepte » de porto et de fêtes mondaines. Lors de son voyage dans le golfe du Saint-Laurent à bord de la goélette Ripley, il a été accompagné de ses deux fils qui faisaient le plus gros de la collecte des spécimens qu’il peignait à bord même du bateau. Sa femme et ses deux filles étaient restées derrière aux États-Unis pour faire l’édition de ses manuscrits et gérer le travail d’impression de ses tableaux. Il bénéficia en outre de l’aide d’autres artistes-peintres pour replacer ses oiseaux dans leur habitat. Pendant ce temps, un grand nombre de femmes coloristes étaient embauchées afin de colorier les tirages en noir et blanc de chacune des planches du maître.
Birds of North America a été l’œuvre maîtresse de John James Audubon. Cet ouvrage magistral, unique en son genre, a été produit en seulement 200 exemplaires comprenant chacun 435 planches doubles in-folio servant à illustrer 400 espèces holarctiques. Malheureusement, il ne reste plus que 19 exemplaires complets de cet ouvrage colossal dans le monde, dont deux au Québec. Vendus au départ 1000 $ US chacun à de grands amateurs d’art, ils se vendent aux enchères à plus de 10 M $ US aujourd’hui. La plupart ont d’abord été exposés dans des cabinets de curiosités pour se retrouver finalement dans des musées et des bibliothèques où ils constituent de véritables fleurons de l’illustration d’histoire naturelle.
Peintre de talent, Audubon était doté d’un sens aigu de la composition et il possédait une palette riche et lumineuse. Il avait par ailleurs un style peu commun. Il représentait de façon très détaillée les oiseaux en grandeur réelle sur des planches de format double-éléphant [soit 2 x ( 28 po x 32 po)]. Pour y parvenir, il devait parfois utiliser des broches pour fixer les gros spécimens morts sur des grillages, et ce, après leur avoir donné des attitudes aussi naturelles que possible. C’est pour cela que les poses de certaines grandes espèces paraissent exagérément contorsionnées. Soulignons en outre que chez Audubon, on rencontre rarement des illustrations purement scientifiques dépourvues de tout sentiment. En plus de la quasi-totalité de l’avifaune nord-américaine, Audubon à également peint 150 tableaux illustrant les mammifères d’Amérique du Nord.
De nos jours, la National Audubon Society (Société nationale Audubon) maintient bien vivant le nom de ce pionnier de la sauvegarde de la nature en Amérique du Nord. Scandalisé par le pillage d’œufs d’oiseaux coloniaux opéré par des eggers professionnels, de même par le massacre considérable de grands pingouins pour servir de « bouette » aux pêcheurs de morue, Audubon a tôt fait de publier des pamphlets dénonçant ces pratiques barbares. En tant que « déclencheur d’alertes », il a indirectement contribué à la création des Services gouvernementaux de la faune en Amérique du Nord. De plus, il a facilité l’établissement de refuges d’oiseaux marins sur la Basse-Côte-Nord et a mené à la fondation de plusieurs sociétés d’histoire naturelle, dont la Société Provancher en 1919. Voilà donc un Américain qui a beaucoup fait pour le Québec et sa nature exceptionnelle.
Jean-Luc DesGranges, Ph.D.
Chercheur émérite, Environnement Canada.